20 octobre 2022 – Assises Sens & Travail
Mesdames, Messieurs,
Je commencerai mes propos, cher Jacques Marceau, en vous adressant mes félicitations, tant ce sujet est d’actualité, pour l’organisation, avec vos différents partenaires, de ces premières assises « Sens & Travail ». Je vous remercie sincèrement de m’en avoir confié la présidence.
En effet, les questions que vous venez de soulever nous préoccupent tous. Comment en sommes-nous arrivés-là ? Car il y a urgence économique et sociale : les transports, le BTP, la restauration, l’hôtellerie, l’industrie, le médical et le médico-social … Aucun secteur n’est épargné par la pénurie de main d’oeuvre. Entre fin 2021 et début 2022, pas moins de 520 000 personnes ont quitté leur emploi, selon une enquête récente. En tant que pharmacien et ancien chef d’entreprise, membre de la commission des Affaires Economiques du Sénat et vice-présidente de la Délégation Sénatoriale aux Entreprises, je suis très sensible à cette question du sens au travail, sur laquelle vous nous proposez de réfléchir aujourd’hui, car elle engage l’avenir, comme le suggère votre titre « Repenser le travail pour reconstruire le monde ».
C’est une quête de sens qui trouve certainement son origine dans les transformations structurelles dont le travail a fait l’objet depuis plusieurs années : massification de l’accès à l’enseignement supérieur, développement exponentiel du secteur tertiaire, mondialisation de l’économie, révolution numérique et intelligence artificielle, mais aussi et plus récemment, cette accélération ressentie avec la terrible pandémie et l’urgence environnementale. Tout cela nous a conduit, et ce n’est pas fini, à des bouleversements majeurs dans notre quotidien et au travail.
Au Sénat, avec mes collègues de la Délégation aux Entreprises, nous avons souhaité engager des travaux, dès la perception de ces grandes évolutions, afin de les comprendre, de les évaluer, et de faire des propositions législatives pour les accompagner. Ainsi, j’ai été co-rapporteur de la mission d’information sur les nouveaux modes de travail et de management, puis j’ai présidé celle sur l’uberisation de la société et la « plateformisation du travail » et enfin, nous rendrons jeudi prochain, avec deux de mes collègues, les conclusions de notre dernier rapport qui s’intitule « Faire de la Responsabilité Sociale et Environnementale un atout pour nos entreprises ».
Le premier constat édifiant a été celui de l’augmentation massive du nombre de micro-entrepreneurs et de travailleurs indépendants, avant même la crise sanitaire, qui a ensuite exacerbé ce phénomène. En effet, certains salariés ont pu trouver que se tourner vers l’auto-entreprenariat leur permettait de mieux gérer leur temps de travail, selon leurs aspirations individuelles et leur vie familiale. Les relations contractuelles avec les travailleurs se sont redéfinies, brouillant du même coup les frontières entre salariat et travail. Les « slasheurs », ces indépendants très qualifiés exerçant plusieurs métiers à la fois, se sont multipliés. La volatilité des expériences professionnelles est ainsi devenue un fait de société. Selon Pôle Emploi, les jeunes actifs d’aujourd’hui changeront treize à quinze fois d’employeurs au cours de leur vie.
Ces transformations révèlent les nouvelles attentes liées au travail : le sentiment d’utilité, la cohérence avec les valeurs morales, la réalisation de soi, aux dépends parfois des attentes « traditionnelles » telles que la rémunération ou la progression de la carrière. Ainsi, ce ne sont plus les employeurs qui choisissent leurs salariés, mais les salariés qui choisissent l’entreprise dans laquelle ils veulent travailler et c’est à l’employeur de rendre son entreprise suffisamment séduisante !
Pour répondre à ce mouvement de désaffection, je crois beaucoup en la mise en oeuvre de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Ce sont souvent celles qui ont été précurseurs en la matière, qui ont pu fidéliser leurs équipes par ces temps de turbulence. Cette démarche incite à repenser l’organisation et à faire se parler et réfléchir entre eux les différents services RH, comptabilité, développement, … Il s’agit de susciter du sens en redonnant à l’entreprise du souffle et des perspectives.
Nous ferons des propositions avec mes collègues, afin que la RSE et la transposition de la directive européenne puissent être adaptées aux entreprises, en fonction de leur taille et de leur secteur d’activité, afin de la rendre attractive et constructive. Par ailleurs, il y a un enjeu à ce que le modèle européen, qui prend en compte la performance extra-financière, puisse supplanter le modèle américain.
Parmi les réponses à apporter, la loi votée en 2021, à laquelle le sénat a largement participé, qui vise à renforcer la prévention en santé au travail, me parait également avoir son intérêt. Elle déploie diverses mesures pour prévenir les burn-out et créer au sein de l’entreprise un environnement favorable à la santé de chacun. Je crois sincèrement qu’un environnement de travail agréable et adapté, contribue à créer une émulation collective qui génère du sens pour tous les salariés.
Pour finir, un dernier point de l’action parlementaire que je souhaitais souligner est le rapport de juillet dernier de la Commission des affaires Economiques du Sénat « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique ». Ce rapport préconise de « faire entrer l’industrie dans les écoles, et les écoles dans l’industrie », de donner à nos jeunes le goût des métiers de tous les secteurs en peine de recrutement. Il semble aussi que l’Economie Sociale et Solidaire à laquelle je suis particulièrement sensible en tant que vice-présidente du groupe d’études sur l’ESS, soit dans la même situation alors que nous en avons tant besoin.
Tous ces métiers ont du sens. Ils doivent être valorisés car ils sont valorisants, ils permettent de conserver notre indépendance, nos traditions et nos savoir-faire.
Il y a quelques années, je me souviens avoir participé à un congrès des Femmes Chefs d’entreprise, en tant que l’une d’entre elles, sur le thème du bonheur au travail. C’était le début d’une réflexion. Depuis, le monde a changé, il nous faut aller plus vite et plus loin. Ce n’est plus seulement la question du bien-être ou du bonheur au travail qui nous occupe, mais bien celle du sens. Je sais que nous pouvons compter sur nos entreprises et leurs équipes, nous devons les
accompagner pour aborder sereinement l’avenir. Je suis impatiente d’entendre les interventions qui vont suivre. C’est avec beaucoup d’intérêt que je vais participer à cette matinée d’échanges qui viendra nourrir, j’en suis certaine, mon action parlementaire.
Je vous remercie.